L’intelligence artificielle dans la finance quantitative: hype ou réalité?

AI quantitative finance

Les analystes quantitatifs, les « quants », doivent rivaliser d’habileté pour mettre au point et utiliser des modèles qui permettront aux gestionnaires de mieux évaluer la valeur des actifs financiers, en particulier les produits dérivés, et de gérer méticuleusement leurs opérations et leurs risques en ajustant en permanence leur portefeuille. Ces as des mathématiques et de la finance n’ont pourtant généralement reçu aucune formation ou initiation aux techniques de l’intelligence artificielle, des connaissances qui pourraient faire véritablement décoller leurs performances.

L’IA : l’avenir de la finance intelligente

Quels gains pourrait apporter l’exploitation des technologies de pointe autour de l’IA ? Les avantages des techniques d’intelligence artificielle dans le monde de la finance sont déjà bien connus. Pourquoi alors ne pas davantage en tirer profit ? 

En effet, L’IA et le Machine Learning peuvent vraiment devenir les pierres angulaires de nos systèmes d’intelligence financière. Elles sont utilisées dans des applications d’optimisation de processus métier et d’aide à la décision, ainsi que dans les analyses prédictives pour les évaluations des risques, pour identifier les pics de liquidité intra-journaliers, pour détecter les anomalies dans les flux de trésorerie, pour n’en citer que quelques-uns. Tous ces systèmes d’IA impliquent une exploration massive des données et une amélioration continue des modèles. Nous sommes ici dans une démarche de perfectionnement continu avec beaucoup de potentialités à explorer. D’autant que les preuves de la pertinence de l’usage de l’IA dans la finance sont déjà là : les hedge funds qui ont utilisé des intelligences artificielles ont rapporté autour du triple par rapport aux systèmes classiques.

Mais que se passe-t-il lorsqu’un événement bouleverse le marché sans qu’il ait été possible de l’anticiper ? Est-ce qu’un programme qui fonctionne en complète autonomie est capable de réagir convenablement à une situation qui n’avait pas été envisagée lors de sa conception ? Contrairement à ce que l’on pourrait présupposer, les IA ne sont pas dénuées de capacité d’adaptation, loin de là. 

La crise sanitaire du COVID-19 a mis un coup d’arrêt brutal à la croissance dans l’ensemble des économies du monde. Malgré cela, les portefeuilles européens gérés à base d’ IA ont limité la casse. C’est bien la preuve que non seulement une IA est capable de s’adapter aux évolutions imprévues du marché mais qu’en plus, elle peut le faire mieux qu’un système classique. 

Néanmoins, si cette technologie est incontestablement performante, elle n’a pas encore atteint sa pleine maturité. Aller au-delà des Proof of Concept, maquettés par une équipe R&D, nécessite des efforts soutenus pour permettre une adoption confiante par l’ensemble de l’organisation et garantir la pertinence des résultats. ll n’y a jamais de victoire immédiate et facile. 

Pour commencer à apercevoir le plein potentiel de l’IA, des tests répétés, des recherches assidues sont nécessaires. L’investissement dans les personnes et les infrastructures, l’engagement constant et la patience sont nécessaires pour exploiter le marché et surpasser la performance. Ces recherches associent des équipes de chercheurs, des data scientists et des experts en investissements pour s’assurer que la technologie est utilisée, sans être pour autant surexploitée, à son plein potentiel. C’est un travail acharné et méthodique qui doit être mené avec intelligence, humaine celle-là.

Les points de vigilance

Connaître et explorer les potentialités de l’IA : voilà un projet qui promet d’être fructueux. Mais quelles en sont concrètement les applications en finance quantitative? Comment mettre l’IA au service de ses projets ? 

Au niveau humain et organisationnel

Qui dit nouvelle technologie, dit nécessité de pouvoir et de savoir l’utiliser. Pour cela, il faut choisir avec soin les personnes et les compétences dont vous allez vous entourer. Ici comme ailleurs, rien n’est plus efficace qu’une équipe pluridisciplinaire. On pense alors à investir dans quelques data scientists ou bien à former les quants à l’IA. Mais ces derniers risquent de se retrouver confrontés à un certain nombre d’obstacles comme la longue durée de la courbe d’apprentissage, la pression de leur management à produire des conclusions rapides et la complexité de faire les bons choix technologiques, ce qui amène souvent à démarrer le processus R&D avec des stagiaires encore moins expérimentés. Ce processus d’exploration de l’IA est constaté chez la plupart des acteurs de la finance, qui souvent conduit à une conclusion commune: l’IA nécessite un lourd investissement et une transformation organisationnelle, l’IA n’est pas adaptée à notre problématique, l’IA n’est pas pour nous.

Au niveau organisationnel, la mise en place de l’IA dans des moyennes et grandes structures bien établies est souvent plus difficile comme c’est un domaine à cheval sur des équipes très différentes (quant et informatique), qui sont souvent dans des lignes hiérarchiques différentes, et avec un système de legacy qui freine souvent l’adaptation rapide de la structure.

Au niveau humain, la formation des quants et des managers ne les amène pas encore à une familiarité appliquée avec l’intelligence artificielle. Il est grand temps pour les cursus universitaires de s’adapter aux possibilités et aux outils d’aujourd’hui comme le MLOps et le développement logiciel haute performance, car l’IA est un outil indispensable dans la boîte à outils d’un quant moderne.

Au niveau de l’application financière

Ensuite, un autre problème propre au monde de la finance quantitative qui doit intégrer l’IA est celui du choix de l’application la plus pertinente à votre business qui va vous faire gagner de l’argent, optimiser et accélérer les processus, ou réduire les risques. Mais il y aura des verrous à lever.

Le premier verrou est le manque de données pertinentes pour le modèle. Certains produits financiers comme les produits illiquides, les produits OTC et les modèles internes NMRF dans le cadre du FRTB sont difficilement valorisables à cause du manque de données pour créer des modèles financiers fiables. Pour ce type de usecase, l’IA est un candidat sérieux pour recréer les indicateurs de risques et les modèles de pricing robustes, malgré le manque de données pour l’apprentissage. Il existe des solutions pour compenser le manque de données tel que les GANs (Generative Adversial Networks), et des techniques de modélisation d’IA simples qui fonctionnent avec de petites quantités de données à l’instar des modèles régressifs, des réseaux bayésiens, des arbres de décisions,… 

Le deuxième verrou est la modélisation des relations complexes entre les facteurs financiers. Par exemple, dans le cadre de l’intégration des données ESG dans des stratégies d’optimisation de portefeuille et d’investissement vert, les données reçues des différents fournisseurs sont de qualités variables, pas exploitables par le gérant, et nécessitent un traitement et un raffinement pour tirer l’information utile. Un data scientist passe 80% de son temps à nettoyer les données. Même si ce travail est parfaitement accompli, les métriques statistiques classiques telles que la corrélation ne permettent pas de modéliser des relations complexes et présentent des biais et des relations aberrantes entre les données. Si, par exemple, un gérant souhaite identifier des signaux avec une hausse du ratio signal-bruit, il est possible de lui proposer des solutions à base d’IA causale pour améliorer la qualité des signaux. L’IA causale est une nouvelle dimension de l’IA qui permet la modélisation des relations causales entre les données avec des modèles graphiques et qui permet de poser des questions contrefactuelles. L’IA causale aide à améliorer les décisions d’investissement et la génération de l’alpha ainsi que l’optimisation du portefeuille

Le troisième verrou est l’accélération de la performance de calcul des modèles financiers complexes et la réduction du coût d’infrastructure. Il existe des solutions analytiques pour valoriser les produits structurés (à base d’equities, bonds, ETF, rough volatility models, etc.) et le calcul du risque (xVA, Expected shortfall, etc.), qui sont basées souvent sur du calcul de monte-carlo imbriqués les uns dans les autres, qui sont très coûteuses en termes de temps et de ressources matérielles.

Aussi, dans le trading à haute-fréquence, les challenges sont souvent la quantité de données plutôt que le modèle quantitatif lui-même. Par exemple, 1 tick-data nécessitera le traitement de plusieurs dizaines de GB de données en quelques millisecondes! Les hypothèses et stratégie d’investissement devront être revalidés à chaque changement de données (en temps réel), ce qui n’est pas du tout le problème pour la gestion de portefeuilles traditionnelle à basse fréquence . Il faut donc relancer toute la chaîne de backtesting Pricing/Modeling/Calibration/filtering. Et plus le portefeuille contient de produits complexes ou exotiques, plus long est le traitement.

L’IA pourra aussi accélérer massivement le traitement analytique: c’est le domaine du Deep Pricing ou Deep Hedging. On entraîne des modèles ML/DL pour approximer les fonctions analytiques calculatoires. Ces modèles pourront calculer les prix ou la volatilité à des vitesses au moins 100 fois supérieures comparé à des modèles analytiques, et consommeront beaucoup moins de machines (CPUs). Encore faut-il garantir des modèles robustes et fiables.

Au niveau confiance dans la technologie

Il peut subsister un manque de confiance dans la prise en charge des modèles financiers par l’IA et il convient de le prendre en compte. Il faut pouvoir proposer un modèle IA explicable et transparent, auquel le portfolio manager, le risk manager ou le data scientist ont profondément et directement contribué. Pour ce faire, il est préférable que le modèle en question se plie à quelques contraintes. Il faut dans sa conception combiner une logique quantitative et une logique qualitative, intégrer le chercheur dans le design process du modèle IA et s’assurer de bien expliquer la stratégie aux investisseurs et aux autorités de régulation.

Un monde de la « finance intelligente » utilisant de manière pertinente l’IA est accessible et plein de potentiel. Sa complexité, à l’image de celle de la finance elle-même, impose de se préparer méthodiquement et de s’entourer d’une équipe solide et compétente, prête à relever le défi. 

La clé d’un projet IA réussi : monter une équipe multidisciplinaire de spécialistes 

Les spécificités du domaine doivent être prises en compte et sont capitales pour la réussite du projet. L’intégration de l’ensemble des compétences en interne ne pourra se faire efficacement qu’après avoir monté une collaboration avec des acteurs de confiance, spécialisés dans l’ensemble de la chaîne (consulting métier, infrastructure, données spécifiques et technique IA proprement dite). Il faudra s’entourer notamment des partenaires métiers et technologiques, de data scientists, d’architectes, d’ingénieurs logiciels afin de valider rapidement la faisabilité et le retour sur investissement envisagé. Une équipe multidisciplinaire, la richesse et la complémentarité des compétences est donc la clé de la réussite de l’intégration de l’IA au sein de son entreprise.